dimanche 7 juin 2009

Songe de Griot Sambou / Christian CAZALS 2009




Les jeunes bédouins.

Rituel du matin.
Très tôt les enfants parcourent la longue piste qui file devant eux. Le soleil étire ses rayons et crève l’horizon. Un chant sort du cœur des écoliers et la marche devient de plus en plus rapide. Le vent léger du désert frappe avec douceur le visage qui s’illumine d’un grand sourire. C’est enfin l’oasis au creux des dunes, autour du puits d’eau fraîche. Quelques arbres projettent leur ombre. La grande case est là. Salle de classe équipée par différents visiteurs de pays amis.
Les pistes du désert se croisent, s’entrecroisent. Disparaissent dans l’enfilade des dunes et réapparaissent sur une grande étendue de petites roches lunaires.
Quelques tentes de fortune abritent le peuple nomade de cette région reculée du désert de Mauritanie.
Un couple de jeunes bédouins taillade un énorme quartier de viande, peut-être une antilope, et les petits vers blancs qui l’habitent se dispersent sur la natte de paille colorée.
Une nuée de mouches s’élève et entoure le visage voilé des deux jeunes gens.
Le silence règne et le parfum des arbres enveloppe l’oasis.
L’arbre à palabre. La chaleur caresse les vieux. Avec respect ils écoutent le chant du musicien le plus talentueux du village et les paroles du conteur qui leur parle des jeunes écoliers réunis dans la salle construite en feuilles de palmiers et en roseaux.
C’est le griot de toute la région. Il parcourt le désert malgré le soleil et le vent de sable qui dessèche les lèvres. Griot Sambou. On a pu le voir dans un film récent sur la Mauritanie. Cette apparition sur l’écran en fait maintenant un éminent personnage.
Assis à l’ombre d’un buisson rabougris prés du puits creusé entre les dunes il se nourrit de quelques fruits secs, quand le soleil est au plus haut et que la chaleur est intense.
L’énergie pénètre alors à nouveau son corps mince et noirci. Puis il repart sur la piste vers le prochain rassemblement de tentes bariolées.
La kora sur le dos et sa darbouka suspendue à la ceinture, il va jusqu’au soir, jusqu’au prochain arbre à palabre. Parfois il distribue des crèmes, des poudres et des petits papiers repliés en quatre, des prescriptions de soins. C’est ainsi que le marabout s’annonce de très loin en chantant.
Entre Mauritanie et Mali Griot Sambou est connu.
Il marche dans cette contrée désertique. Comme d’autres construisent des maisons il réalise son œuvre en chantant pour les enfants du village et ceux, jeunes ou vieux, qui viennent le soir sous l’arbre écouter l’histoire des animaux et des hommes bleus du désert. La salle de classe est équipée d’un tableau noir, des morceaux de craie de toute couleur, des cartes imprimées des différents pays qui aident la région.
Ces grandes images parsèment les murs de roseaux et vont servir bientôt, quand la matinée sera avancée, à éduquer les jeunes enfants habillés de burnous blancs.
Aujourd’hui est un grand jour. On a vu sur la piste circuler de gros véhicules et les enfants peuvent assister au déchargement d’un matériel impressionnant, gros projecteurs, haut - parleurs, caméras portées à l’épaule. Un groupe d’hommes et de femmes, sourire aux lèvres, discute entre eux une langue particulière. Il s’agit de l’allemand.
Un moyen métrage se réalise sur la vie de Griot Sambou, des enfants du village, et de ce lieu du désert.
Notre sympathique griot en est la vedette et c’est jour de congé pour toute l’école.
Les enfants se réjouissent de cet intermède. Ils savent que le chef de ces hommes qui viennent de débarquer, on leur a dit le réalisateur, va leur demander de jouer à l’école.
Tout change d’un seul coup.
Sous le soleil qui devient de plus en plus haut les enfants organisent un grand match de foot sur la piste surchauffée, les instituteurs répètent des scènes avec l’équipe du film.
Griot Sambou, grand personnage au milieu de cette scène gratte la guitare. Sa magnifique voix à la tessiture large, va du plus grave au plus aigu. Très claire, pleine d’énergie.
L’assemblée finit par écouter, comme en méditation, et s’abandonne au charme des mots. Des mots qui sont la musique. Le rythme du djembé résonne dans l’immensité des dunes transformée en section rythmique d’un orchestre né dans le cerveau, dans les lieux cachés de notre psyché.
C’est enfin une course folle. Les petits pieds nus frappent le sol de sable, de pierres acérées, de bois secs et de coquillages millénaires.
On cherche à attraper une chèvre qui semble être la mascotte du village. Les cornes recourbées sont peintes aux couleurs de la tribu. Tous les enfants s’y mettent et même Griot Sambou qui pour le moment interrompt sa musique, pose sa guitare et participe en riant aux éclats au jeu des écoliers.
Le silence règne maintenant sur le campement, le soleil baisse et va bientôt se cacher derrière les dunes.Tout est calme. Un décor est installé et les acteurs se mettent progressivement en place. Griot Sambou se déplace en majesté. Sa haute silhouette se déplace parmi les rochers et le sable. Il avance vers les enfants très impressionnés par cette transformation du personnage. Une transfiguration qui les atteint eux aussi.
Après la rigolade du jeu et de la course poursuite les enfants paraissent entrer en méditation. Sur leurs lèvres est murmuré un texte de Griot Sambou composé par lui-même dans le matin frais du désert. On pense aux ancêtres, à la prochaine saison des pluies qui pourra faire bénéficier le sol de l’énergie nécessaire à une bonne récolte.
On pense aussi aux animaux, sauvages et domestiques, et chaque enfant du groupe participe au mime.
On pense aussi à cet impressionnant naufrage au large des côtes sénégalaises et dont l’histoire reste gravée dans les têtes.
Un geste suffit et Griot Sambou rassemble autour de lui les enfants qui maintenant restent attentifs et très concentrés.
Ils vont écouter Griot Sambou dont le chant soutenu par la kora s’élève vers les étoiles qui maintenant apparaissent dans le ciel immense au dessus du désert. Les projecteurs sculptent les rochers, les dunes, et donnent un relief saisissant au groupe d’enfants.
Griot Sambou, après avoir rassemblé les écoliers attentifs débute le conte appris pendant ses courses dans le désert et que maintenant il transmet.
« Taïeb déplie la couverture de sable, étire ses petits membres engourdis par le froid de la nuit, Taïeb regarde les étoiles, écoute le chant des insectes vivant dans le sable.
Taïeb tourne la tête, dresse le buste, s’appuie sur ses bras. Taïeb rejette le corps en arrière et pousse un long cri. La lune se cache alors et les montagnes sacrées deviennent plus sombres.
Il est seul.
La caravane est repartie cette nuit, silencieuse, le pas des animaux ragaillardis marquant le sable. Les hommes et les femmes, ombres voilées courbées vers le sol, ont oublié Taïeb l’enfant chamelier.
Avec application, sans un mot, le regard tourné vers un monde lointain il brossait les chameaux et leur donnait à boire. »
Le songe pénètre les jeunes cerveaux et soudain le film prend une dimension supérieure à celle qu’il pourrait avoir : un film touristique, un simple album de photos.
Griot Sambou en fait un rêve supérieur, un sujet de méditation. Au cœur du désert. Une histoire d’amour entre le conteur et ses personnages.
« Emerveillé par la voûte céleste le regard de Taïeb est accroché par la majesté des montagnes ; il caresse le sol, se dresse et le corps décrit un grand cercle au sommet de la dune ; la nuit, le moutonnement du relief lui donne le vertige, il reçoit des gifles de sable sur le visage, le vent tourbillonne et s’installe pour de longs jours, le vent sec qui chante la mort. »
La voix de Griot Sambou s’élève dans la nuit et raconte l’histoire des enfants chameliers. Ces enfants parcourant les immenses étendues de sable derrière les dromadaires qui transportent les grandes plaques de sel nécessaire à la vie des tribus. Les caravanes qui vont d’est en ouest et qui reviennent en Mauritanie à leur point de départ dans la région d’Adrar. Ainsi ils assurent le commerce du sel, du mil, et des dattes.
« L’enfant chante le lichen sur la pierre, la lune et son sourire bienfaisant, ses multiples bras lumineux étreignant le monde. La voix de l’enfant qui n’est autre que celle de Griot Sambou, résonne de roche en roche, serpente dans les oueds, se perd dans la forêt dense de l’oasis, elle interpelle le ciel, les astres s’ouvrent, des milliers de mains se tendent et demandent l’obole.
Etendu pour la nuit le sable glisse sur les lèvres de Taïeb. »
On entend les premiers jappements du chacal.
Très loin une hyène ricane.
Il est déjà tard et toute l’équipe décide de se retirer sous les tentes montées pour l’occasion.
La salle de classe est vite transformée en dortoir.
Sambou s’étend sous un arbre sec selon son habitude. Le campement de nomades s’endort malgré le froid de la nuit.
Dans la tête des jeunes enfants un chamelier naît et chacun chante doucement ses ordres à l’animal qu’il dirige dans la caravane. L’histoire de Taïeb, le jeune nomade vêtu de bleu, se transforme maintenant en conte que le jeune enfant se nommant Adembo va raconter le long de la route du sel.
Adembo, est un jeune conteur. Un jeune conteur qui accompagne Sambou pendant ses tournées, va à l’école, et laisse son cerveau élaborer des histoires. Des histoires qui deviennent de vrais petits bijoux qu’il offre aux assemblées réunies sur la place des campements, sous l’arbre à palabre des oasis.
Une famille de babouins commence à se balancer dans les branches de l’arbre, il fait moins froid, la clarté du jour découpe la structure des maisons de terre et de paille, des tentes de l’équipe de cinéma.
On devine la forme du corps de Griot Sambou adossé au petit arbre.
Adembo est le premier à sortir de la grande maison qui sert également de salle de classe. Il fait le tour du campement et respire l’air frais, il laisse le vent du désert passer sur son visage et s’avançant vers un réservoir d’eau à proximité du puits commence ses ablutions.
C’est aussi la prière du matin et les exercices qui vont permettre au corps de s’harmoniser avec la nature environnante.
Les singes dans les hautes branches de l’arbre le regardent.
Le camp est encore endormi. Le ciel s’ éclaircit progressivement . Les dunes lointaines arrondissent leur sommet et les roches qui limitent la piste sont de plus en plus visibles.
Une hyène s’enfuit laissant à regret la carcasse d’une biche égarée.
Le regard d’Adembo, dans un mouvement circulaire, scrute le paysage.
Il est surtout intéressé par Griot Sambou, demi assis sous son arbrisseau, et qui, depuis son réveil, n’a pas bougé.
Il s’approche alors du vieux conteur. Celui-ci ne bouge pas, les doigts de la main droite sont refermés. A l’intérieur un peu de sable et quelques petites pierres sont emprisonnés.
Délicatement il lui touche l’épaule, essaye de le secouer légèrement, mais très vite il prend conscience qu’une pression un peu plus forte suffirait pour provoquer la chute du corps.
Il se penche vers son visage et constate que les yeux sont ouverts. Le regard est fixe. La main devant la bouche ne ressent aucun souffle. Il appelle Sambou qui ne répond pas.
La seconde fois qu’Adembo est confronté avec la mort. La première fois c’était son grand père, un vieil agriculteur Mauritanien, et aujourd’hui son ami, son maître au grand âge qui ouvrait son esprit à l’art du conte.
Il sait que les femmes du village vont s’occuper du corps maintenant sans vie.
L’équipe du film après une petite cérémonie d’adieu quitte le lieu de tournage avec tristesse. Les enfants de l’école vont prier pendant une journée, puis ils reprendront les cours de l’école.
C’est l’histoire de la mort et de la naissance d’un conteur.
Griot Sambou et Adembo, se retrouvent maintenant dans le monde spirituel qui accompagnera les enfants de l’école du désert.
Peut-être un jour cette école pourra-t-elle s’ouvrir sur l’univers cinématographique.
Alors Griot Sambou verra le monde autour de lui et vivra au rythme de chaque pays parcouru.
Adembo sera sa voix.





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